Scientifique cherche pistes de réflexion politiques
Le malaise, mon malaise
Au moment oĂč jâĂ©cris ce billet, jâai 34 ans, et je suis titulaire dâun doctorat en chimie (enfin, “en sciences”) depuis 5 ans. Je suis Ă©galement post-doctorant, toujours en chimie, donc je connais et pratique la mĂ©thode scientifique (dans sa version la plus scolaire) du mieux que je peux. Je pense toujours quâil sâagit dâune mĂ©thode qui a ses qualitĂ©s pour produire des modĂšles et des prĂ©dictions robustes, mĂȘme si la rĂ©alitĂ© est bien plus complexe que nâimporte quel modĂšle (« tous les modĂšles sont faux, mais certains sont utiles » est probablement la phrase qui rĂ©sume le mieux ma vision actuelle de la mĂ©thode scientifique et de ce quâelle produit). Jâai par ailleurs Ă©normĂ©ment de griefs envers la maniĂšre dont le monde scientifique fonctionne (prĂ©pondĂ©rance dâĂ©diteurs privĂ©s, financements dictĂ©s par des intĂ©rĂȘts politiques, prĂ©caritĂ©, etc.), mais je ne dirais pas que la mĂ©thode scientifique en est la cause.
Mais je suis Ă©galement un homme, et plus largement un citoyen (belge). Jâai donc aussi des opinions et des croyances, qui se situent globalement Ă gauche â malgrĂ© ce que ma blocklist sur BlueSky (vous pouvez cliquer, câest public, câest le principe) pourrait laisser croire :

Bien que les deux premiĂšres listes soient de bonne guerre (dĂ©shonneur par association), la derniĂšre mâembĂȘte. Pas tant pour y avoir Ă©tĂ© classĂ© (les gens pensent ce quâils veulent de moi), mais surtout parce que les circonstances dans lesquelles jây ai Ă©tĂ© ajoutĂ© (tout est lĂ ) dĂ©montrent que, manifestement, jâai un gros problĂšme dâapproche et de communication.
Et pourtant, je vous assure que je crois :
- Que la science est politique, Ă minima parce quâelle est faite par des humains qui ne sont pas neutres, et que de toute façon, la neutralitĂ©, ça nâexiste pas (mĂȘme si la mĂ©thode scientifique permet de se dĂ©partir de certains biais â mais pas tous) ;
- Que toutes les sciences se valent, que la distinction sciences humaines / sciences dures nâa que peu de sens, et que quand je dis “la science” dans le point prĂ©cĂ©dent, ce nâest pas pour cacher la diversitĂ© des sciences, quelles quâelles soient ; câest juste que cette distinction nâa pas forcĂ©ment de sens dans ce contexte (de toute façon, je ne suis pas hyper fan des classements et des Ă©tiquettes) ; et
- Que la science nâa pas rĂ©ponse Ă tout, et quâelle nâest dâailleurs pas la solution Ă tout â en particulier au rĂ©chauffement climatique.
Et lĂ , normalement, mĂȘme si aucun de ces points nâest une take de droite (loin de lĂ , mĂȘme), je vais probablement toujours ĂȘtre classĂ© parmi les “zĂ©tĂ©tic*uilles”. Probablement parce que je nâai pas employĂ© les bons mots (oui, “la science”), parce que ce nâest pas suffisant (“Keuwa, tu nâabordes le technosolutionnisme quâen TROISIĂME point ? Fachiste !”), voire parce que, selon tel courant politique dont je ne soupçonne mĂȘme pas lâexistence, jâai quand mĂȘme tout faux â parce que tout ça, câest la faute du capitalisme, et quâon ne peut pas ĂȘtre de gauche quand on profite dâune construction capitaliste comme la science (et vice versa).
Et il est lĂ , mon malaise : je nâarrive pas Ă parler correctement de politique sans donner lâimpression de dire lâinverse de ce que je pense. Je nâai pas les bons termes, pas les bonnes expressions, et pas le bagage non plus (je suis chimiste, pas sociologue !). Et pourtant, câest nĂ©cessaire : je suis de plus en plus inquiet (“seulement INQUIET ? Fachiste !”) de la direction que prend la politique (belge, europĂ©enne, mondiale), qui se droitise et se radicalise toujours plus. Je ressens donc le besoin dâaffiner mes connaissances en matiĂšre de politique (ce qui inclut la sociologie, donc) et dâapprendre Ă exprimer mes arguments convenablement. Voire de comprendre pourquoi certains de mes arguments sont faux, ce qui doit forcĂ©ment ĂȘtre le cas.
Et câest pas simple.
Aparté : le langage
Jâai un problĂšme avec le langage. Un vrai problĂšme. Je sais que les mots ont un sens (parfois plusieurs, avec des nuances, des connotations, voire des sens cachĂ©s) et que câest au moins aussi important en sciences (oĂč lâon fait une fixette sur les dĂ©finitions) que dans la vie de tous les jours (oĂč lâon fait une fixette sur les Ă©tiquettes). Mais malgrĂ© ça, je nây arrive pas. Jâai Ă©normĂ©ment de mal Ă trouver le bon mot au bon moment (surtout Ă lâoral), je confonds souvent les termes ou je les emploie comme synonymes. Pour compenser, je mâappuie beaucoup sur le contexte et les pĂ©riphrases. Sauf que ça suggĂšre que j’invisibilise Ă tour de bras, juste parce que j’ai pas utilisĂ© le terme appropriĂ©.
De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, je raisonne de façon trĂšs inductive : plutĂŽt que de retenir des dĂ©finitions, des concepts ou des rĂ©sultats, je prĂ©fĂšre me souvenir de quelques axiomes et du raisonnement qui mây mĂšne â ou au moins de la façon de le reconstruire si je lâai oubliĂ©.
Ăa peut sembler ĂȘtre une excuse facile. Ce nâen est pas une. Câest mĂȘme assez handicapant au quotidien. Trois exemples :
- Jâai Ă©normĂ©ment de mal Ă retenir les noms des gens. En revanche, je me souviens presque toujours du contexte dans lequel je les ai rencontrĂ©s, de ce quâon a Ă©changĂ© et de pourquoi jâai telle ou telle impression dâeux ;
- Les subtilitĂ©s de la grammaire et de lâorthographe, en français comme en anglais, mâĂ©chappent totalement. L’absence de logique interne et exceptions Ă rallonge me dĂ©passent totalement (malgrĂ© que bien des profs qui s’y soient essayĂ©). MĂȘme quand je me concentre, je n’arrive pas Ă sortir quelque chose de correct (et j’ai mĂȘme tendance Ă la surcorection dans ce genre de cas). Par contre, j’adore l’accord de proximitĂ©, du coup (au moins c’est logique)… Et, aussi ironique que ce soit, jâai beau dĂ©tester lâIA du plus profond de mon ĂȘtre, la qualitĂ© de mes textes sâest enfin amĂ©liorĂ©e grĂące Ă elle. (“Keuwa ?! Fachiste va !”).
- Puis le langage, câest quand mĂȘme vachement imparfait : quand, pour parler de $\mathcal{G}$ (genre, « les ĂȘtres humains »), on dit « $A$ » (genre « les hommes »), alors que $A$ est un membre de $\mathcal{G}$ (et souvent le membre majoritaire), il y a forcĂ©ment des confusions qui se font, et je tombe dedans Ă tout les coups.
Et bizarrement, pour le troisiĂšme point, plutĂŽt que de se mettre dâaccord sur un terme neutre pour $\mathcal{G}$ quand on veut en parler (genre⊠« les ĂȘtres humains », quoi), on a dĂ©cidĂ© que la solution, câĂ©tait de lister tous les membres de $\mathcal{G}$ â et attention, sans Ă©lisions, sinon câest de lâinvisibilisation (« les hommes, les femmes, les trans, les non-binaires, les intersexes ⊠»). Je vous aime, mais on est tous-point-e-point-x diffĂ©rent-point-e-point-x et c’est trĂšs bien comme ça. Est ce que j’ai besoin de tous-point-e-point-x vous connaitre et nommer Ă chaque fois ? On peut pas collectivement se mettre d’accord sur un truc, renommer $\mathcal G$ pour que tous-point-e-point-x se sente inclu-point-e-point-x et dire … “$\mathcal G$” ?
Bref, ça ne **m’**aide pas.
Back to business
DâoĂč ça vient, tout ça ? En ce qui me concerne, du COVID. Comme tout le monde, jâai Ă©tĂ© plus ou moins affectĂ© par cette pĂ©riode, mais jây ai surtout vu Ă lâĆuvre une opposition entre « la science » (oui, la science, en particulier la mĂ©decine dans ce cas-ci) et les vrais gens de la vraie vie. Dâune part, la science, froide et rationnelle, recommandait le confinement, ce qui, de fait, devait fonctionner (supprimez la transmission, et le virus sâĂ©teindra de lui-mĂȘme en quelques semaines). Dâautre part, ce confinement nâĂ©tait ni matĂ©riellement possible (il aurait fallu isoler chaque personne, ce qui nâest pas rĂ©alisable), ni humainement souhaitable dans beaucoup de cas (la santĂ© mentale de bien des gens, moi y compris, sâen est retrouvĂ©e durablement affectĂ©e). Dâailleurs, « la » science ne sâen est pas si bien sortie que ça, si on considĂšre le « cas Raoult » ou toutes les polĂ©miques autour des vaccins (ces plaies ne sont dâailleurs pas encore refermĂ©es aujourdâhui).
Câest Ă ce moment-lĂ que jâai compris quâeffectivement, la science (oui, « la », la mĂ©decine encore une fois) nâavait pas la rĂ©ponse Ă tout et que tout ça Ă©tait hautement politique. Dâailleurs, ça nâa pas manquĂ©, puisque malgrĂ© tout ce que pouvaient en dire les diffĂ©rents secteurs, câĂ©taient bien nos instances dirigeantes qui avaient le dernier mot. Bon, câĂ©tait Ă moitiĂ© une rĂ©vĂ©lation : je suis un citoyen, je vois bien que la sociĂ©tĂ© fonctionne selon ses propres rĂšgles. NâempĂȘche, voir cette opposition Ă lâĆuvre mâa quand mĂȘme ouvert lâesprit.
Câest Ă©galement la pĂ©riode oĂč la zĂ©tĂ©tique, qui se place gĂ©nĂ©ralement en porte-Ă©tendard de « la science », a commencĂ© Ă montrer ses faiblesses et ses limites. Je consomme de la zĂ©tĂ©tique (au sens large, car certaines des personnes que je suis toujours sâen sont ensuite distanciĂ©es) depuis fort longtemps : en fait, dĂ©jĂ dans ma pĂ©riode “Harry Potter”, on mâavait offert le livre “Devenez sorciers, devenez savants” de Henri Broch (celui-lĂ mĂȘme qui a remis la zĂ©tĂ©tique au goĂ»t du jour) et Georges Charpak (ce qui nâest pas rien, quoiquâon pourrait probablement lâaccuser de “nobĂ©lite” sur celle-lĂ ). Câest donc assez naturellement quâen consommant des vulgarisateurs sur YouTube, jâai fini par tomber sur des contenus zĂ©tĂ©tiques. Mais câest surtout le COVID, et lâimpact que celui-ci a eu dans la sphĂšre zĂ©tĂ©tique youtubienne francophone, qui mâa fait me dĂ©tacher des zĂ©tĂ©ticiens « neutres » (ou qui sâen revendiquent, vu que la neutralitĂ©, ça nâexiste pas). Puis bon, les concours du meilleur sophisme, ça mâa toujours laissĂ© circonspect.
Le problĂšme, câest que quâen face (le cĂ©lĂšbre blog ZEM), on passe plus de temps Ă critiquer la zĂ©tĂ©tique telle quâelle est pratiquĂ©e quâĂ discuter de comment elle devrait lâĂȘtre … Quand ce nâest pas carrĂ©ment pour trasher Thomas Durand ou autres, ce qui est probablement cathartique mais pas trĂšs intĂ©ressant quand c’est systĂ©matique et qu’on est moyennement concernĂ© (le drama, c’est marrant 5 minutes, mais c’est gĂ©nĂ©ralement pas trĂšs constructif). Et pourtant, puisquâils annoncent sâattaquer au scientisme, au dĂ©tour de diffĂ©rents articles, on retrouve parfois des petites phrases trĂšs intĂ©ressantes qui laissent sous-entendre quâil y a plus Ă y comprendre, comme par exemple celle-ci, que j’aime beaucoup :
Ce quâil faut garder en tĂȘte, câest quâun Ă©noncĂ© scientifique est nĂ©cessairement contaminĂ© dĂšs lors quâil sort du champ scientifique. Il nây a pas dâutilisation âpureâ dâun Ă©noncĂ© scientifique en dehors du milieu scientifique.
(ça vient de là ).
⊠Et câest ça que je cherche. Sauf quâaux Ă©vidences niaises des zĂ©tĂ©ticiens neutres (« la science peut tout expliquer et lâesprit critique triomphe de tout »), on oppose un « non, parce que tout est politique » et⊠câest quasiment tout. Vraiment, et j’imagine qu’il y a des choses qui m’ont Ă©chappĂ©e, mais j’en ressort avec l’impression que la plupart des articles sont des Ă©tudes de cas qui en arrivent tous Ă cette conclusion, sans aller plus loin (ça manque de “prescriptif” ?)
Par exemple, concernant la prise de dĂ©cision (et la crise du COVID, mais pas que), jâai lu pas mal dâarticles dudit blog, comme celui-lĂ (qui est le dernier dâune sĂ©rie que jâai Ă©galement lue), et la conclusion me semble ĂȘtre (mais je peux me tromper) quâil faut, dans la prise dâune dĂ©cision, favoriser la pluralitĂ© des opinions (et la pluralitĂ© des disciplines scientifiques) et mettre lâemphase sur celle des concernĂ©s. Ce Ă quoi je rĂ©ponds dâune part « faisons ça », mais dâautre part⊠« donc la solution, câest le consensus mou ? »
Je veux dire, si on oublie un instant que les politiciens ne reprĂ©sentent quâeux-mĂȘmes, câest dĂ©jĂ ce qui se passe au niveau dâun gouvernement. Quand plusieurs partis forment une coalition, chacun Ă©met ses arguments, ses lignes rouges et ses demandes ; on discute (et parfois, on invite mĂȘme les diffĂ©rents acteurs concernĂ©s, mĂȘme si câest pour ensuite cracher dessus), et il en ressort un accord de gouvernement (on est dâaccord quâici, on a oubliĂ© de mettre lâaccent sur la voix des opprimĂ©s), câest-Ă -dire une espĂšce de consensus mou auquel chacun trouve Ă redire. Jâai lâimpression, mais je peux me tromper, que mĂȘme en rééquilibrant les voix en faveur des concernĂ©s, le consensus sera toujours insatisfaisant pour tout le monde (mĂȘme les concernĂ©s !). J’ai aussi l’impression qu’aucun systĂšme politique (par exemple, la dĂ©mocratie totalement participative [le systĂšme suisse aux hormones] ou la dicature de la minoritĂ© [ou seule les concernĂ©s prendrait des dĂ©cisions les concernant] ou du prolĂ©tariat, ou que sais-je encore) n’est totalement satisfaisante Ă ce niveau lĂ .
Conclusions (?)
Pour ce qui est de « les sciences », je vais donc ajouter Ă la phrase « tous les modĂšles sont faux, mais certains sont utiles » la phrase « il nây a pas dâutilisation pure dâun Ă©noncĂ© scientifique en dehors du milieu scientifique ». Je ne suis pas encore tout Ă fait au clair sur ce que ça implique pour moi (bien que ma recherche ne concerne absolument pas les ĂȘtres humains et soit mĂȘme trĂšs dĂ©terministe en elle-mĂȘme, je ne peux pas ignorer les impacts sociĂ©taux quâelle a ou pourrait avoir), mais jây travaille.
Par contre, pour la prise de dĂ©cision, je suis toujours dans le flou. Jâai lâimpression que, mĂȘme libĂ©rĂ©e des contraintes du systĂšme capitaliste (qui, certes, relĂącherait certaines contraintes idiotes, genre « toute dĂ©cision doit maintenir le budget Ă lâĂ©quilibre »), la prise de dĂ©cision restera toujours aussi insatisfaisante pour tout le monde (puisque, comme le rappelle bien touuuuuuut le monde, « la prise de dĂ©cision cherche Ă atteindre un but, qui est lui-mĂȘme politique »). Jâavoue que me dire que la solution, câest quâil nây a pas de solution satisfaisante, ça ne mâaide pas trop Ă vouloir affiner mes positions politiques (puisque du coup, Ă quoi bon ?).
Ou alors, câest que je suis fasciste ?