Scientifique cherche pistes de réflexion politiques

Posted on Oct 25, 2025
💡 Ceci est un post de la catĂ©gorie 'fange nombriliste', ou j'essaye d'explorer des thĂ©matiques politiques qui m'animent. Toute critique (constructive) est la bienvenue.

Le malaise, mon malaise

Au moment oĂč j’écris ce billet, j’ai 34 ans, et je suis titulaire d’un doctorat en chimie (enfin, “en sciences”) depuis 5 ans. Je suis Ă©galement post-doctorant, toujours en chimie, donc je connais et pratique la mĂ©thode scientifique (dans sa version la plus scolaire) du mieux que je peux. Je pense toujours qu’il s’agit d’une mĂ©thode qui a ses qualitĂ©s pour produire des modĂšles et des prĂ©dictions robustes, mĂȘme si la rĂ©alitĂ© est bien plus complexe que n’importe quel modĂšle (« tous les modĂšles sont faux, mais certains sont utiles » est probablement la phrase qui rĂ©sume le mieux ma vision actuelle de la mĂ©thode scientifique et de ce qu’elle produit). J’ai par ailleurs Ă©normĂ©ment de griefs envers la maniĂšre dont le monde scientifique fonctionne (prĂ©pondĂ©rance d’éditeurs privĂ©s, financements dictĂ©s par des intĂ©rĂȘts politiques, prĂ©caritĂ©, etc.), mais je ne dirais pas que la mĂ©thode scientifique en est la cause.

Mais je suis Ă©galement un homme, et plus largement un citoyen (belge). J’ai donc aussi des opinions et des croyances, qui se situent globalement Ă  gauche — malgrĂ© ce que ma blocklist sur BlueSky (vous pouvez cliquer, c’est public, c’est le principe) pourrait laisser croire :

Bien que les deux premiĂšres listes soient de bonne guerre (dĂ©shonneur par association), la derniĂšre m’embĂȘte. Pas tant pour y avoir Ă©tĂ© classĂ© (les gens pensent ce qu’ils veulent de moi), mais surtout parce que les circonstances dans lesquelles j’y ai Ă©tĂ© ajoutĂ© (tout est lĂ ) dĂ©montrent que, manifestement, j’ai un gros problĂšme d’approche et de communication.

Et pourtant, je vous assure que je crois :

  1. Que la science est politique, Ă  minima parce qu’elle est faite par des humains qui ne sont pas neutres, et que de toute façon, la neutralitĂ©, ça n’existe pas (mĂȘme si la mĂ©thode scientifique permet de se dĂ©partir de certains biais — mais pas tous) ;
  2. Que toutes les sciences se valent, que la distinction sciences humaines / sciences dures n’a que peu de sens, et que quand je dis “la science” dans le point prĂ©cĂ©dent, ce n’est pas pour cacher la diversitĂ© des sciences, quelles qu’elles soient ; c’est juste que cette distinction n’a pas forcĂ©ment de sens dans ce contexte (de toute façon, je ne suis pas hyper fan des classements et des Ă©tiquettes) ; et
  3. Que la science n’a pas rĂ©ponse Ă  tout, et qu’elle n’est d’ailleurs pas la solution Ă  tout — en particulier au rĂ©chauffement climatique.

Et lĂ , normalement, mĂȘme si aucun de ces points n’est une take de droite (loin de lĂ , mĂȘme), je vais probablement toujours ĂȘtre classĂ© parmi les “zĂ©tĂ©tic*uilles”. Probablement parce que je n’ai pas employĂ© les bons mots (oui, “la science”), parce que ce n’est pas suffisant (“Keuwa, tu n’abordes le technosolutionnisme qu’en TROISIÈME point ? Fachiste !”), voire parce que, selon tel courant politique dont je ne soupçonne mĂȘme pas l’existence, j’ai quand mĂȘme tout faux — parce que tout ça, c’est la faute du capitalisme, et qu’on ne peut pas ĂȘtre de gauche quand on profite d’une construction capitaliste comme la science (et vice versa).

Et il est lĂ , mon malaise : je n’arrive pas Ă  parler correctement de politique sans donner l’impression de dire l’inverse de ce que je pense. Je n’ai pas les bons termes, pas les bonnes expressions, et pas le bagage non plus (je suis chimiste, pas sociologue !). Et pourtant, c’est nĂ©cessaire : je suis de plus en plus inquiet (“seulement INQUIET ? Fachiste !”) de la direction que prend la politique (belge, europĂ©enne, mondiale), qui se droitise et se radicalise toujours plus. Je ressens donc le besoin d’affiner mes connaissances en matiĂšre de politique (ce qui inclut la sociologie, donc) et d’apprendre Ă  exprimer mes arguments convenablement. Voire de comprendre pourquoi certains de mes arguments sont faux, ce qui doit forcĂ©ment ĂȘtre le cas.

Et c’est pas simple.

Aparté : le langage

J’ai un problĂšme avec le langage. Un vrai problĂšme. Je sais que les mots ont un sens (parfois plusieurs, avec des nuances, des connotations, voire des sens cachĂ©s) et que c’est au moins aussi important en sciences (oĂč l’on fait une fixette sur les dĂ©finitions) que dans la vie de tous les jours (oĂč l’on fait une fixette sur les Ă©tiquettes). Mais malgrĂ© ça, je n’y arrive pas. J’ai Ă©normĂ©ment de mal Ă  trouver le bon mot au bon moment (surtout Ă  l’oral), je confonds souvent les termes ou je les emploie comme synonymes. Pour compenser, je m’appuie beaucoup sur le contexte et les pĂ©riphrases. Sauf que ça suggĂšre que j’invisibilise Ă  tour de bras, juste parce que j’ai pas utilisĂ© le terme appropriĂ©.

De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, je raisonne de façon trĂšs inductive : plutĂŽt que de retenir des dĂ©finitions, des concepts ou des rĂ©sultats, je prĂ©fĂšre me souvenir de quelques axiomes et du raisonnement qui m’y mĂšne — ou au moins de la façon de le reconstruire si je l’ai oubliĂ©.

Ça peut sembler ĂȘtre une excuse facile. Ce n’en est pas une. C’est mĂȘme assez handicapant au quotidien. Trois exemples :

  1. J’ai Ă©normĂ©ment de mal Ă  retenir les noms des gens. En revanche, je me souviens presque toujours du contexte dans lequel je les ai rencontrĂ©s, de ce qu’on a Ă©changĂ© et de pourquoi j’ai telle ou telle impression d’eux ;
  2. Les subtilitĂ©s de la grammaire et de l’orthographe, en français comme en anglais, m’échappent totalement. L’absence de logique interne et exceptions Ă  rallonge me dĂ©passent totalement (malgrĂ© que bien des profs qui s’y soient essayĂ©). MĂȘme quand je me concentre, je n’arrive pas Ă  sortir quelque chose de correct (et j’ai mĂȘme tendance Ă  la surcorection dans ce genre de cas). Par contre, j’adore l’accord de proximitĂ©, du coup (au moins c’est logique)… Et, aussi ironique que ce soit, j’ai beau dĂ©tester l’IA du plus profond de mon ĂȘtre, la qualitĂ© de mes textes s’est enfin amĂ©liorĂ©e grĂące Ă  elle. (“Keuwa ?! Fachiste va !”).
  3. Puis le langage, c’est quand mĂȘme vachement imparfait : quand, pour parler de $\mathcal{G}$ (genre, « les ĂȘtres humains »), on dit « $A$ » (genre « les hommes »), alors que $A$ est un membre de $\mathcal{G}$ (et souvent le membre majoritaire), il y a forcĂ©ment des confusions qui se font, et je tombe dedans Ă  tout les coups.

Et bizarrement, pour le troisiĂšme point, plutĂŽt que de se mettre d’accord sur un terme neutre pour $\mathcal{G}$ quand on veut en parler (genre
 « les ĂȘtres humains », quoi), on a dĂ©cidĂ© que la solution, c’était de lister tous les membres de $\mathcal{G}$ — et attention, sans Ă©lisions, sinon c’est de l’invisibilisation (« les hommes, les femmes, les trans, les non-binaires, les intersexes 
 »). Je vous aime, mais on est tous-point-e-point-x diffĂ©rent-point-e-point-x et c’est trĂšs bien comme ça. Est ce que j’ai besoin de tous-point-e-point-x vous connaitre et nommer Ă  chaque fois ? On peut pas collectivement se mettre d’accord sur un truc, renommer $\mathcal G$ pour que tous-point-e-point-x se sente inclu-point-e-point-x et dire … “$\mathcal G$” ?

Bref, ça ne **m’**aide pas.

Back to business

D’oĂč ça vient, tout ça ? En ce qui me concerne, du COVID. Comme tout le monde, j’ai Ă©tĂ© plus ou moins affectĂ© par cette pĂ©riode, mais j’y ai surtout vu Ă  l’Ɠuvre une opposition entre « la science » (oui, la science, en particulier la mĂ©decine dans ce cas-ci) et les vrais gens de la vraie vie. D’une part, la science, froide et rationnelle, recommandait le confinement, ce qui, de fait, devait fonctionner (supprimez la transmission, et le virus s’éteindra de lui-mĂȘme en quelques semaines). D’autre part, ce confinement n’était ni matĂ©riellement possible (il aurait fallu isoler chaque personne, ce qui n’est pas rĂ©alisable), ni humainement souhaitable dans beaucoup de cas (la santĂ© mentale de bien des gens, moi y compris, s’en est retrouvĂ©e durablement affectĂ©e). D’ailleurs, « la » science ne s’en est pas si bien sortie que ça, si on considĂšre le « cas Raoult » ou toutes les polĂ©miques autour des vaccins (ces plaies ne sont d’ailleurs pas encore refermĂ©es aujourd’hui).

C’est Ă  ce moment-lĂ  que j’ai compris qu’effectivement, la science (oui, « la », la mĂ©decine encore une fois) n’avait pas la rĂ©ponse Ă  tout et que tout ça Ă©tait hautement politique. D’ailleurs, ça n’a pas manquĂ©, puisque malgrĂ© tout ce que pouvaient en dire les diffĂ©rents secteurs, c’étaient bien nos instances dirigeantes qui avaient le dernier mot. Bon, c’était Ă  moitiĂ© une rĂ©vĂ©lation : je suis un citoyen, je vois bien que la sociĂ©tĂ© fonctionne selon ses propres rĂšgles. N’empĂȘche, voir cette opposition Ă  l’Ɠuvre m’a quand mĂȘme ouvert l’esprit.

C’est Ă©galement la pĂ©riode oĂč la zĂ©tĂ©tique, qui se place gĂ©nĂ©ralement en porte-Ă©tendard de « la science », a commencĂ© Ă  montrer ses faiblesses et ses limites. Je consomme de la zĂ©tĂ©tique (au sens large, car certaines des personnes que je suis toujours s’en sont ensuite distanciĂ©es) depuis fort longtemps : en fait, dĂ©jĂ  dans ma pĂ©riode “Harry Potter”, on m’avait offert le livre “Devenez sorciers, devenez savants” de Henri Broch (celui-lĂ  mĂȘme qui a remis la zĂ©tĂ©tique au goĂ»t du jour) et Georges Charpak (ce qui n’est pas rien, quoiqu’on pourrait probablement l’accuser de “nobĂ©lite” sur celle-lĂ ). C’est donc assez naturellement qu’en consommant des vulgarisateurs sur YouTube, j’ai fini par tomber sur des contenus zĂ©tĂ©tiques. Mais c’est surtout le COVID, et l’impact que celui-ci a eu dans la sphĂšre zĂ©tĂ©tique youtubienne francophone, qui m’a fait me dĂ©tacher des zĂ©tĂ©ticiens « neutres » (ou qui s’en revendiquent, vu que la neutralitĂ©, ça n’existe pas). Puis bon, les concours du meilleur sophisme, ça m’a toujours laissĂ© circonspect.

Le problĂšme, c’est que qu’en face (le cĂ©lĂšbre blog ZEM), on passe plus de temps Ă  critiquer la zĂ©tĂ©tique telle qu’elle est pratiquĂ©e qu’à discuter de comment elle devrait l’ĂȘtre … Quand ce n’est pas carrĂ©ment pour trasher Thomas Durand ou autres, ce qui est probablement cathartique mais pas trĂšs intĂ©ressant quand c’est systĂ©matique et qu’on est moyennement concernĂ© (le drama, c’est marrant 5 minutes, mais c’est gĂ©nĂ©ralement pas trĂšs constructif). Et pourtant, puisqu’ils annoncent s’attaquer au scientisme, au dĂ©tour de diffĂ©rents articles, on retrouve parfois des petites phrases trĂšs intĂ©ressantes qui laissent sous-entendre qu’il y a plus Ă  y comprendre, comme par exemple celle-ci, que j’aime beaucoup :

Ce qu’il faut garder en tĂȘte, c’est qu’un Ă©noncĂ© scientifique est nĂ©cessairement contaminĂ© dĂšs lors qu’il sort du champ scientifique. Il n’y a pas d’utilisation “pure” d’un Ă©noncĂ© scientifique en dehors du milieu scientifique.

(ça vient de là).


 Et c’est ça que je cherche. Sauf qu’aux Ă©vidences niaises des zĂ©tĂ©ticiens neutres (« la science peut tout expliquer et l’esprit critique triomphe de tout »), on oppose un « non, parce que tout est politique » et
 c’est quasiment tout. Vraiment, et j’imagine qu’il y a des choses qui m’ont Ă©chappĂ©e, mais j’en ressort avec l’impression que la plupart des articles sont des Ă©tudes de cas qui en arrivent tous Ă  cette conclusion, sans aller plus loin (ça manque de “prescriptif” ?)

Par exemple, concernant la prise de dĂ©cision (et la crise du COVID, mais pas que), j’ai lu pas mal d’articles dudit blog, comme celui-lĂ  (qui est le dernier d’une sĂ©rie que j’ai Ă©galement lue), et la conclusion me semble ĂȘtre (mais je peux me tromper) qu’il faut, dans la prise d’une dĂ©cision, favoriser la pluralitĂ© des opinions (et la pluralitĂ© des disciplines scientifiques) et mettre l’emphase sur celle des concernĂ©s. Ce Ă  quoi je rĂ©ponds d’une part « faisons ça », mais d’autre part
 « donc la solution, c’est le consensus mou ? »

Je veux dire, si on oublie un instant que les politiciens ne reprĂ©sentent qu’eux-mĂȘmes, c’est dĂ©jĂ  ce qui se passe au niveau d’un gouvernement. Quand plusieurs partis forment une coalition, chacun Ă©met ses arguments, ses lignes rouges et ses demandes ; on discute (et parfois, on invite mĂȘme les diffĂ©rents acteurs concernĂ©s, mĂȘme si c’est pour ensuite cracher dessus), et il en ressort un accord de gouvernement (on est d’accord qu’ici, on a oubliĂ© de mettre l’accent sur la voix des opprimĂ©s), c’est-Ă -dire une espĂšce de consensus mou auquel chacun trouve Ă  redire. J’ai l’impression, mais je peux me tromper, que mĂȘme en rééquilibrant les voix en faveur des concernĂ©s, le consensus sera toujours insatisfaisant pour tout le monde (mĂȘme les concernĂ©s !). J’ai aussi l’impression qu’aucun systĂšme politique (par exemple, la dĂ©mocratie totalement participative [le systĂšme suisse aux hormones] ou la dicature de la minoritĂ© [ou seule les concernĂ©s prendrait des dĂ©cisions les concernant] ou du prolĂ©tariat, ou que sais-je encore) n’est totalement satisfaisante Ă  ce niveau lĂ .

Conclusions (?)

Pour ce qui est de « les sciences », je vais donc ajouter Ă  la phrase « tous les modĂšles sont faux, mais certains sont utiles » la phrase « il n’y a pas d’utilisation pure d’un Ă©noncĂ© scientifique en dehors du milieu scientifique ». Je ne suis pas encore tout Ă  fait au clair sur ce que ça implique pour moi (bien que ma recherche ne concerne absolument pas les ĂȘtres humains et soit mĂȘme trĂšs dĂ©terministe en elle-mĂȘme, je ne peux pas ignorer les impacts sociĂ©taux qu’elle a ou pourrait avoir), mais j’y travaille.

Par contre, pour la prise de dĂ©cision, je suis toujours dans le flou. J’ai l’impression que, mĂȘme libĂ©rĂ©e des contraintes du systĂšme capitaliste (qui, certes, relĂącherait certaines contraintes idiotes, genre « toute dĂ©cision doit maintenir le budget Ă  l’équilibre »), la prise de dĂ©cision restera toujours aussi insatisfaisante pour tout le monde (puisque, comme le rappelle bien touuuuuuut le monde, « la prise de dĂ©cision cherche Ă  atteindre un but, qui est lui-mĂȘme politique »). J’avoue que me dire que la solution, c’est qu’il n’y a pas de solution satisfaisante, ça ne m’aide pas trop Ă  vouloir affiner mes positions politiques (puisque du coup, Ă  quoi bon ?).

Ou alors, c’est que je suis fasciste ?