On ne sais plus discuter, Ă gauche, ou bien ?
Après avoir fini mon précédent billet (d’ailleurs pas très clair, ce qui traduit bien ma confusion quant à ces sujets), je m’attendais à retourner ruminer mes réflexions pendant quelques mois. Et puis il s’est passé ça et ça (et d’autres trucs du même goût) :


Le thème, qui tourne autour du paradoxe de la tolérance (« il faut être intolérant avec les intolérants »), est très simple : « on ne discute pas avec l’extrême droite ».
Ok, d’accord, mais.
Non, y’a pas de « mais », fasciste, va !
Dit comme ça, c’est évidemment un peu vague, et Philoxime a développé la chose dans une de ses vidéos. En résumé, il est impossible de débattre avec l’extrême droite, parce que :
- Il est souvent difficile de débattre avec quelqu’un qui te tient en peu d’estime, voire, dans les cas extrêmes, souhaite ta mort ; et
- Les personnalités d’extrême droite ne jouent pas selon les règles du débat, déforment la réalité et usent de sophismes complètement éclatés au sol.
Dans les interventions de certain-point-e-point-x, j’ai mĂŞme ressenti que la règle Ă©tait encore plus forte que ça, et qu’on pourrait la rĂ©sumer ainsi : « ne pas dĂ©noncer l’extrĂŞme droite, c’est la tolĂ©rer », voire « le moindre pas de travers et c’est fini pour toi, camarade » (En mĂŞme temps, dans gauche radicale, il y a radical, c’est Ă©crit dessus).
Ceci dit, dans sa vidéo, j’ai l’impression que ce que montre Philoxime, c’est que ce qui marche bien, c’est surtout de ne pas donner de visibilité aux personnalités d’extrême droite ou à leurs idées. J’imagine qu’on m’opposera que bad buzz is still buzz, que même en parlant en mal de l’extrême droite on participe à sa visibilité, et qu’il faudrait s’abstenir de même mentionner l’extrême droite ou une de ses personnalités, mais… c’est plus fort que nous, hein ? En attendant, j’aime plutôt bien cette version, d’autant que bon, « expliquer n’est pas excuser » : aller parler avec des militants d’extrême droite, lire leurs publications, comprendre leurs méthodes, etc., requiert d’être en contact avec l’extrême droite, voire d’en parler.
Je me permettrais d’ajouter que le « dialogue » entre harceleur et harcelé, dominant et dominé, voire, dans le cas de guerre, entre personnes qui souhaitent mutuellement la mort de leur adversaire, est nécessaire. Ça ne veut pas dire qu’il doit être médiatisé ou même public (les tribunaux sont très bien pour ça).
Le processus n’est pas forcĂ©ment non plus agrĂ©able, et c’est Ă©videmment ok de ne pas avoir envie de dĂ©battre ou de discuter, et pour ça, le blocage sur les rĂ©seaux sociaux, par exemple, fonctionne très bien. Si je puis me permettre, l’insulte, moins. Et le problème, c’est qu’évidemment, on tombe vite dans le travers oĂą il est plus facile de traiter son adversaire de facho (on est tous le droitard de quelqu’un, j’imagine) qu’autre chose. Vraiment, je pense que le monde serait plus simple si les gens qui souhaitent s’ignorer s’ignoraient effectivement. Pour certains, il semblerait ceci dit que ça ne soit pas assez. C’est dommage, parce que s’insulter de facho n’a jamais fait avancer quoique ce soit, mĂŞme face Ă un facho avĂ©rĂ©.
Mon esprit taquin me fera Ă©galement ajouter un autre commentaire : « l’extrĂŞme droite ne joue pas le jeu du dĂ©bat » est justement… ce contre quoi les zĂ©tĂ©ticiens se battent. Encore une fois, la chasse aux sophismes plus ou moins subtils, personnellement ça ne m’amuse pas (dĂ©jĂ parce que je n’arrive pas Ă en retenir les noms), mais il faut reconnaĂ®tre qu’à minima, ceux-ci tentent de dĂ©cortiquer les discours et les arguments, avec Ă©videmment leurs propres biais (dont celui de neutralitĂ©, je sais). Y’a un truc Ă creuser, lĂ .
Ok, d’accord … Mais ?
À force de ne plus vouloir débattre qu’avec les gens raisonnables (c’est-à -dire plus grand monde, vu que le procès en fascisme est facile), on reste souvent juste entre soi et on n’avance pas. Je l’ai déjà dit ailleurs, mais en tant que mécanisme de défense, cette stratégie marche très bien et est même nécessaire. Par contre, à long terme, autant aller vivre seul en forêt, quoi, parce que la seule personne avec laquelle on ne peut jamais être en désaccord, c’est soi-même.
Évidemment, entre l’entre-soi élitiste (pas efficace à long terme) et aller combattre du facho sur son propre territoire (pas souhaitable vu les arguments développés plus haut), il y a une infinité d’espaces que la gauche peut et doit réinvestir. Parce que le problème, c’est que le discours de la gauche est un peu inaudible en ce moment. C’est loin d’être uniquement la faute de la gauche, qui ne combat pas vraiment à armes égales (il y a des journalistes qui devraient faire leur travail, par exemple), mais même la gauche au pouvoir n’a pas réussi à convaincre (il fut un temps où les communistes étaient au gouvernement, tout de même !). Et fuir face au danger n’est une bonne solution que si c’est pour se regrouper, se réarmer et revenir plus fort (ouais, le vocabulaire guerrier, ça marche bien ici, sorry, mais prôner la lutte, ça implique forcément ce genre de chose).
MĂŞme durant le dernier Ă©vĂ©nement un peu populaire, les gilets jaunes (pas forcĂ©ment un mouvement de gauche, j’entends bien), la gauche n’a pas rĂ©ussi Ă apporter une rĂ©ponse satisfaisante, malgrĂ© le fait que bien des demandes des gilets jaunes rĂ©sonnaient avec celles des partis de gauche. C’est moche ! MĂŞme dans le climat actuel, sĂ©curitaire et pas franchement agrĂ©able pour les plus prĂ©caires, les arguments de la droite, souvent Ă©clatĂ©s au sol, font toujours mouche auprès de la population. C’est moche ! Je ne sais plus qui disait que dans un système fasciste, au moins, tu connaissais ta place dans la hiĂ©rarchie sociale, et tu savais qui t’opprimait et qui tu pouvais opprimer. Une sociĂ©tĂ© basĂ©e sur l’opression, c’est moche !
Si le climat mĂ©diatique actuel n’aide clairement pas la gauche (et que, pour le coup, ce n’est pas vraiment de sa faute), il y a quelque chose pour laquelle la gauche se disqualifie d’elle-mĂŞme et qui est vraiment incomprĂ©hensible pour le militant de base : son absence d’unitĂ©, mĂŞme sur des questions simples. (On notera que l’unitĂ© de la droite est en fait de façade, parce que si elle converge facilement sur les boucs Ă©missaires et les paniques morales, elle diverge sur les solutions, mĂŞme entre la droite extrĂŞme et l’extrĂŞme droite.) Ce n’était pas innocent si je m’intĂ©ressais aux processus de dĂ©cision dans mon prĂ©cĂ©dent billet : quand on voit le bazar en France pour arriver Ă un programme commun ou un candidat commun, je me dis qu’on a besoin de rĂ©flĂ©chir Ă comment prendre des dĂ©cisions. C’est aussi pour ça que je m’inquiĂ©tais qu’on ne fasse vraiment pas mieux que le « consensus mou », que les plus radicaux vont Ă©videmment rejeter en bloc, puis aller traiter tout le monde de facho et retourner bouder dans leur coin (et on n’aura toujours pas avancĂ©). Et encore une fois, c’est normal, puisqu’il y a radical dans le nom, mais donc… on fait quoi ? Comment on fait pour que tout le monde se sente reconnu, inclus dans le processus, de telle manière Ă ce qu’on puisse ensuite tous ensemble porter une dĂ©cision ? Est-ce que c’est mĂŞme souhaitable ?
… Et pourquoi ça ressemble quand mĂŞme Ă de la social-dĂ©mocratie, ce truc ? (Ceci dit, je ne suis pas très versĂ© en littĂ©rature radicale, mais sortir du capitalisme requiert quand mĂŞme de se poser la question du processus de dĂ©cision Ă mettre en place par après.)
Conclusion(s)
Comment on discute, au final ? Comment on met dans la même pièce des hommes cis-hétéro-blancs et des militant-point-e-point-x de la cause queer, antivalidistes, antiracistes, et qu’on arrive à en faire ressortir des discussions intéressantes et des décisions concrètes, sans passer son temps à faire des concours de pureté militante ?
Chaque seconde gaspillĂ©e Ă vĂ©rifier les croyances de quelqu’un sur tel-point-e-point-x ou tel sujet est une seconde pendant laquelle la droite, elle, suit sans rĂ©flĂ©chir ses maĂ®tres Ă penser. MaĂ®tres qui, eux-mĂŞmes, fantasment une sociĂ©tĂ© individualiste, libertarienne et conservatrice, tout ce qu’on adore, quoi. Il faut donc absolument agir sans se disperser et en s’assurant du soutien d’un maximum de monde, mais il faut le faire convenablement :)